
«La rédaction d’un e-mail demande du temps, de la concentration et de la rigueur»
La communication par e-mail dans le suivi de soin entre le patient et le soignant – voici le thème du travail de séminaire de Nathalie Daina-Laville réalisé dans le cadre de son «MAS en Sciences et organisation de la santé». Dans cet entretien, elle nous explique pourquoi elle a choisi ce thème, ce qu’elle apprécie personnellement dans la communication par e-mail et pourquoi il est important de former les professionnels de santé à l’utilisation de l’e-mail.
Vous trouverez un résumé des principales conclusions du travail de Nathalie Daina-Laville dans le blog HIN .
Madame Daina-Laville, c’est une expérience vécue dans votre quotidien professionnel qui vous a amenée à rédiger votre travail de séminaire sur la communication par e-mail entre soignants et patients. Pouvez-vous nous en dire plus?
Dans le cadre de mon activité d’infirmière indépendante spécialisée en diabétologie, un événement inattendu s’est produit lors de la prise en soin d’une patiente. Nous avions convenu avant son départ en vacances de communiquer par e-mail. Périodiquement, la patiente devait envoyer ses résultats glycémiques pour pouvoir, si nécessaire, adapter le dosage du traitement. Un matin, je reçois les résultats envoyés par la patiente, et ceux-ci étaient alarmants. Je lui ai répondu par écrit de modifier sa dose d’insuline pour ne pas risquer de problèmes de santé, mais aucune réponse de sa part ne m’est parvenue par la suite. La communication était interrompue, je n’arrivais plus à joindre la patiente. Je me faisais réellement du souci pour elle... Cette expérience m’a donné à réfléchir.

Nathalie Daina-Laville
Nathalie Daina-Laville est infirmière indépendante spécialisée en diabétologie et maître d’enseignement HES à l’Institut et Haute Ecole de la Santé La Source.
Dans votre travail, vous citez de nombreux avantages de la communication par e-mail entre les patients et les professionnels de santé. Lesquels vous semblent particulièrement importants?
La communication par e-mail peut renforcer l’autogestion des patients par rapport à leurs maladies – un avantage majeur qui est également souligné dans la littérature. Les patients acquièrent une plus grande autonomie. En posant activement des questions par e-mail à leurs médecins ou soignants et en obtenant des réponses de leur part, ils deviennent en effet acteurs de leur propre santé. Ils peuvent agir davantage par eux-mêmes, avoir un impact. Cela aide les patients à prendre de bonnes décisions – notamment parce qu’ils se sentent soutenus par le professionnel de santé.
On trouve aujourd’hui des informations illimitées sur Internet. Les patients peuvent-ils se contenter de s’informer par ce biais?
Sur Internet, il est essentiel de trouver et de reconnaître les bons sites. On trouve en ligne autant d’informations utiles que de possibilités d’être induit en erreur... Les professionnels de santé doivent aider les patients en leur indiquant si un site Internet est digne de confiance.
Quels autres avantages importants la communication par e-mail présente-t-elle?
La relation soignant-patient est aujourd’hui vue sous l’angle du partenariat, d’égal à égal: les expériences vécues par le patient dans son parcours de santé sont tout aussi importantes que l’expertise du professionnel de santé. Pour ce type de relation, l’e-mail est un outil important. Il permet de poursuivre la relation de soin avec le patient au-delà de la consultation au cabinet médical et permet au patient de découvrir et d’utiliser plus facilement ses compétences. C’est un avantage pour le patient comme pour le professionnel de santé. Enfin, le patient est ainsi mieux préparé pour les consultations au cabinet.
D’autres avantages sont présentés dans l’article de blog exposant les principales conclusions de mon travail.
À la lecture de votre travail, j’ai eu le sentiment que les avantages étaient nombreux pour les patients, tandis que les professionnels de santé étaient plutôt confrontés aux risques de la communication par e-mail. Qu’en pensez-vous?
Oui, les défis concernent surtout le personnel soignant. L’un de ces défis, souvent mentionné dans la littérature, est que ce canal de communication supplémentaire augmente la charge de travail des professionnels de santé. J’ai vu des cabinets médicaux revenir à la communication téléphonique car ils n’avaient plus le temps de répondre aux nombreux e-mails des patients.
Que peut-on faire pour éviter cela?
Je pense que les professionnels de santé ont besoin d’aides pour savoir comment communiquer par e-mail. Car dans certains cabinets médicaux, ce type de communication fonctionne. On peut examiner les stratégies trouvées par ces médecins. Certains, par exemple, consacrent chaque jour un certain temps sans consultation pour répondre plus sereinement à leurs e-mails.
Les aides sont donc importantes... En Suisse, il n’existe toutefois pas de directives concernant l’utilisation de l’e-mail par les professionnels de santé. Pensez-vous que cela pose problème?
Oui, je vois là un problème. Nous sommes tous habitués à écrire des e-mails dans le contexte privé. Mais les professionnels de santé doivent être vigilants dans le cadre professionnel: il faut réellement prendre le temps de rédiger les e-mails et s’y consacrer entièrement parce qu’écrire un e-mail est une tâche exigeante. Il faut bien réfléchir à la manière de rédiger pour éviter les malentendus. Qui plus est, l’e-mail s’inscrit dans la continuité de la relation avec le patient. Et celle-ci peut être mise à mal par un seul mot mal choisi. Ou simplement lorsque, sous l’effet du stress, on omet la salutation ou l’on fait des fautes d’orthographe...
Pensez-vous que les professionnels de santé en auraient davantage conscience s’il existait des directives ou des recommandations pour la communication par e-mail?
Oui, je pense qu’il serait utile d’informer les professionnels de santé pour qu’ils soient plus conscients des risques liés à la communication par e-mail. Par exemple, il est vite arrivé d’envoyer un e-mail au mauvais destinataire. Certains noms sont parfois très similaires, des noms de famille peuvent être identiques, il peut y avoir des patients jumeaux. Et quiconque envoie des informations dites sensibles au mauvais destinataire enfreint le devoir de diligence. Les professionnels de santé doivent être conscients de ces risques, d’où l’importance de les informer.
Le patient est toutefois également responsable du bon fonctionnement de la communication par e-mail, n’est-ce pas?
Absolument. Les professionnels de santé peuvent aussi être confrontés à une charge de travail trop importante en raison d’une utilisation incorrecte ou abusive de l’e-mail par les patients, par exemple pour discuter de questions complexes. J’utilise moi-même une Charte dans laquelle je définis avec les patients certaines règles pour la communication par e-mail. Elle aide les deux parties à garantir le bon fonctionnement de la communication par e-mail et à minimiser les risques.
Que contient votre Charte?
J’y définis par exemple que l’e-mail ne doit être utilisé que pour des questions simples et qu’il n’est pas adapté aux questions et problèmes urgents. Par ailleurs, ma Charte stipule que les patients doivent m’appeler s’ils ne sont pas sûrs d’avoir bien compris un e-mail. L’e-mail ne doit pas être un moyen d’éviter les appels téléphoniques. Au moindre doute dans l’interprétation d’une formulation, un entretien personnel ou téléphonique s’impose. Dans le cas contraire, des erreurs sont trop vite arrivées. J’ai également inclus dans la Charte la néces-sité pour les patients de me confirmer la bonne réception de l’e-mail, ce à quoi je m’engage également. Il est important pour moi que la Charte ne soit pas simplement un papier à signer. Elle me sert d’outil pour informer le patient des risques liés à la communication par e-mail, notamment en ce qui concerne la protection des données.
Y a-t-il aussi des patients qui, après avoir été informés des risques liés à la protection des don-nées, refusent de communiquer par e-mail?
Cela ne m’est arrivé qu’une seule fois. Je vois cependant les patients prendre un moment pour réfléchir après avoir été informés des risques. C’est important. Ils me confirment ensuite qu’ils sont prêts à prendre le risque que des e-mails sur leur glycémie soient interceptés dans de rares cas. Cela ne signifie toutefois pas nécessairement qu’ils acceptent de communiquer par e-mail pour toute question relative à leur santé...
Pour finir, une question sur votre quotidien d’infirmière spécialisée en diabétologie: qu’appréciez-vous personnellement dans la communication par e-mail?
J’aime la traçabilité des discussions, le fait de pouvoir relire la communication à tout moment. J’apprécie aussi le caractère asynchrone de l’e-mail: je ne dois pas répondre immédiatement comme avec le téléphone, je peux lire mes e-mails le soir et y répondre tranquillement.
Merci beaucoup pour cet entretien passionnant, Madame Daina-Laville!
Informations complémentaires
- Nous avons résumé les informations importantes et les principales conclusions du travail de Nathalie Daina-Laville dans le blog HIN
- Dans le cadre de son travail, Nathalie Daina-Laville a élaboré des recommandations d’usage pour la communication par e-mail avec les patients. Télécharger les recommandations d’usage (PDF)
- Vous pouvez télécharger un modèle de Charte au format Word, pour l’adapter à vos propres besoins