Un pharmacien valide une E-ordonnance sur sa tablette

«Si l’on attend tout le monde, il ne se passera rien» – Le conseiller d’État Thomi Jourdan sur la planification des soins, la responsabilité et le service E-Ordonnance Suisse

Philipp Senn
Philipp Senn

Le canton de Bâle-Campagne introduit le service E-Ordonnance Suisse. Une pièce de puzzle dans une stratégie qui pense les soins de santé de manière globale. Le conseiller d’État Thomi Jourdan mise sur des solutions pragmatiques, la correction ciblée des incitations inopportunes et la coopération plutôt que le centralisme.

HIN: Monsieur Jourdan, si vous pouviez établir une ordonnance au nom du patient «système de santé», quels remèdes lui prescririez-vous?

 

Thomi Jourdan: Je lui prescrirais un médicament anti-incitations inopportunes à large spectre. Car on retrouve ces dernières dans tout le système. Les patients, les prestataires, les assureurs et même le milieu politique: toutes les parties prenantes évoluent dans un environnement qui incite trop souvent à privilégier l’optimisation individuelle au détriment de l’efficacité systémique.

Ces propos ont de quoi donner à réfléchir. Le système est-il atteint d’une maladie incurable?

 

Pas du tout, je constate simplement un écart important entre les ambitions et la réalité. Tout le monde dit vouloir améliorer le système, mais quand il s’agit de passer à l’action, la force de l’auto-optimisation entre en jeu: les patients sont peu incités à consommer moins de ressources, la structure tarifaire actuelle n’encourage pas les hôpitaux à fournir des prestations ambulatoires et de nombreuses conditions du système favorisent l’augmentation des volumes et donc des coûts.

Comment expliquer cela à une population qui considère les soins de santé comme allant de soi?

 

C’est à la fois un défi et notre mission. Je dois p. ex. expliquer qu’un hôpital peut également subir des pertes parce qu’il a encouragé les traitements ambulatoires, souhaitables du point de vue des patients et des coûts de santé, mais désavantageux du point de vue des coûts d’exploitation. C’est difficile à faire comprendre, mais ce sont précisément ces corrélations qui nous poussent à réorienter les soins: la population a besoin de structures de soins décentralisées et ambulatoires pour remplacer les soins stationnaires, facilement accessibles et qui contribuent également à alléger les offres stationnaires coûteuses.

«La numérisation doit s’intégrer dans les processus existants»
Image de Thomi Jourdan
Thomi Jourdan Conseiller d’État du canton de Bâle-Campagne et directeur de la Direction de l’économie et de la santé
Le service E-Ordonnance Suisse devrait également contribuer à atténuer ce problème. Celui-ci a été lancé par la FMH et pharmaSuisse, les associations des médecins et des pharmaciens, sans mandat politique et sans consultation de la Confédération ou des cantons. Que pensez-vous de cette démarche?

 

Je suis partisan du fédéralisme et de l’innovation. Si l’on doit toujours attendre un consensus à tous les niveaux, rien ne se fera jamais. Ce qui importe, c’est de savoir si les solutions numériques sont capables de faire avancer le système dans son ensemble.

C’est-à-dire?

 

Aucun prestataire ne changera son système d’information sur les patients sans nécessité. Pour être acceptées, les solutions numériques doivent s’intégrer dans les systèmes et processus existants. Ce qu’il faut donc, c’est de l’ouverture et de l’interopérabilité entre les systèmes existants.

Selon vous, qui est responsable de la coordination et de l’efficacité de la transformation numérique dans le système de santé?

 

Le dossier électronique du patient (DEP) a clairement montré à quel point ce sujet est complexe, malgré les moyens considérables qui y ont été consacrés et les ambitions élevées qui l’accompagnaient. Des progrès ont été réalisés, mais le chemin est semé d’embûches. Je suis curieux de voir si la Confédération parviendra à mettre en place la structure nécessaire pour une deuxième tentative.

Et qu’en est-il des cantons?

 

Nous devons également assumer nos responsabilités. Dans la région de Bâle, nous avons pour ambition de développer de manière intégrale les soins et la numérisation. Il ne s’agit pas seulement de numériser les processus analogiques, mais aussi de mettre en place et de renforcer les soins intégrés.

De la planification hospitalière à la planification des soins

C’est une exigence élevée.

 

Mais elle est nécessaire. Les ruptures dans le processus de traitement constituent l’un des principaux points faibles du système: les patients sont orientés vers le mauvais service parce qu’il manque une option à cocher sur un formulaire; les analyses de laboratoire sont effectuées en double, les examens sont inutilement répétés après une orientation du patient vers un autre service, tout simplement parce que les informations ne sont pas disponibles de manière cohérente et complète pour tous les acteurs du système. Cela coûte de l’argent, nuit à la qualité des traitements et met les nerfs à rude épreuve. C’est pourquoi l’utilisation judicieuse de l’ordonnance électronique, de l’eMediplan ou des standards de données contribue de manière importante à atténuer les ruptures et à rendre les soins plus efficaces.

Que faites-vous concrètement pour rendre le système de santé plus efficace dans la région de Bâle?

 

Avec «Gesundheit BL 2030», nous avons décrit un ensemble de mesures visant à orienter les soins de santé en faveur de la population. Ce concept veut privilégier les soins ambulatoires, décentralisés et en réseau, et renforcer l’offre stationnaire». Autrement dit, nous souhaitons nous éloigner de la simple planification hospitalière pour nous diriger vers la mise en place d’un système de soins innovant. Cela implique la mise en place de nouvelles structures de soins avec des centres de santé qui permettent à la population de bénéficier de soins de proximité, davantage ambulatoires, et qui soulagent les structures hospitalières coûteuses. Nous encourageons en outre des concepts innovants tels que Hospital at Home ou poursuivons l’idée d’un tarif ambulatoire supplémentaire pour les prestataires de soins hospitaliers, en étroite collaboration avec les assureurs.

Comment cela fonctionne-t-il?

 

Prenons l’exemple d’une intervention chirurgicale: dans de nombreux cas, il est plus rentable pour l’hôpital de traiter un patient en stationnaire, même si d’un point de vue médical, une intervention ambulatoire serait possible. L’idée est donc de réduire la différence entre les tarifs stationnaires et ambulatoires grâce à un tarif ambulatoire supplémentaire, afin d’augmenter l’attrait des traitements ambulatoires. Le patient peut rentrer chez lui plus tôt, le taux d’infections nosocomiales (hospitalières) est réduit et les coûts globaux sont moins élevés.

Qu’en est-il des hôpitaux?

 

La vision traditionnelle d’une planification hospitalière pure et dure est pour moi un modèle dépassé. Une tâche qui se focalise uniquement sur l’attribution de mandats à des prestataires stationnaires ne répond plus aux exigences de soins orientés vers l’avenir, intégrés et en réseau, dans lesquels les offres de télémédecine, ambulatoires et stationnaires sont coordonnées dans l’intérêt des patients. Les cantons ont ici un rôle central à jouer en tant que facilitateurs et coordinateurs. Cela nécessite une volonté d’innovation et le courage politique d’assumer ce rôle.

«Nous devons renforcer l’esprit communautaire»
Image de Thomi Jourdan
Thomi Jourdan Conseiller d’État du canton de Bâle-Campagne et directeur de la Direction de l’économie et de la santé
Certains demandent que la Confédération joue un rôle plus important dans la planification hospitalière. Faut-il davantage de centralisation?

 

Je suis résolument contre. La centralisation fonctionne peut-être sur le papier, mais pas dans la réalité. L’avenir des soins ne réside pas uniquement dans la planification et la construction d’hôpitaux, mais dans la mise en place d’un système de santé régional et suprarégional intelligent, avec pour ambition de développer de manière significative les soins ambulatoires en remplacement des soins stationnaires. Le fédéralisme peut parfois être compliqué, mais il constitue également un laboratoire pour des solutions innovantes. Et c’est précisément cette opportunité que les cantons doivent saisir.

Mais comment empêcher que chacun fasse cavalier seul?

 

La Confédération doit pour cela définir les orientations et le cadre, mais sans vouloir tout contrôler de manière centralisée. Dans le cas de la numérisation, cela signifie «établir des normes et assurer la coordination». C’est sur cette base que l’innovation est possible. Et oui, parfois, il faut simplement avoir le courage de «passer à l’action», comme vous l’avez fait pour l’ordonnance électronique.

Monsieur Jourdan, revenons pour finir à la question initiale: quel est, de votre point de vue, le pronostic du patient «système de santé»?

 

Le système ne sera jamais «parfaitement» optimisé. Mais n’oublions pas que nous avons des médecins, des thérapeutes et des soignants formidables qui accomplissent leur travail au profit des patients avec compétence, responsabilité et empathie. Je veux croire que l’être humain n’est pas qu’un simple «homo oeconomicus» qui ne pense qu’à son propre intérêt. Et oui, dans le système de santé en particulier, beaucoup de gens œuvrent pour faire le bien. Nous devons renforcer cet esprit communautaire.

Image de Thomi Jourdan

Thomi Jourdan est conseiller d’État du canton de Bâle-Campagne depuis 2023 et dirige la Direction de l’économie et de la santé. Économiste de formation (lic. rer. pol.) et superviseur IAS, il est actif dans le milieu politique depuis 25 ans, auparavant en tant que membre du Grand Conseil, conseiller communal de longue date à Muttenz et responsable du département des constructions et de l’aménagement. Sur le plan professionnel, il a dirigé une PME dans le domaine de l’immobilier et a occupé des postes de direction dans le système de santé, notamment à l’hôpital Felix Platter de Bâle et au département de la santé de la ville de Zurich.

Philipp Senn
Auteur: Philipp Senn - Responsable Communication

Les langues et les technologies de l’information m’ont toujours fasciné – chez HIN, je peux combiner les deux. Je suis responsable Communication chez HIN et intervenant «à temps partiel» pour la HIN Academy, et je souhaite transmettre à nos lecteurs les multiples facettes de la transformation numérique et les sensibiliser aux questions de sécurité informatique qui en découlent.

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Les langues et les technologies de l’information m’ont toujours fasciné – chez HIN, je peux combiner les deux. En tant que spécialiste de la communication, j’ai acquis de l’expérience dans l’informatique, le secteur associatif et l’administration publique. Je suis responsable Communication chez HIN et intervenant «à temps partiel» pour la HIN Academy, et je souhaite transmettre à nos lecteurs les multiples facettes de la transformation numérique et les sensibiliser aux questions de sécurité informatique qui en découlent.

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