Et comment expliquer que la numérisation est si lente à s’imposer dans le système de santé suisse?Cette question est liée à celle des capacités techniques, des réglementations et de notre volonté: les capacités techniques ne sont pas un problème, car il existe déjà des solutions pour transmettre des données de manière sécurisée. Les réglementations nous permettent tout de même beaucoup de choses. La protection des données est certes sans cesse mise en avant, mais elle ne constitue pas un obstacle. Le problème est notre volonté de faire avancer les choses: pourquoi devrais-je, en tant que prestataire de services, échanger mes données? Quel est l’intérêt? Il y a encore très peu d’incitation en ce sens aujourd’hui. Les avantages ne sont malheureusement pas toujours là où les efforts sont déployés. Une autre raison est que les patients eux-mêmes ne sont pas suffisamment motivés. Ils n’exercent aucune pression – et sans pression, très peu de choses bougent dans le secteur de la santé.Que faut-il faire alors pour que les prestataires de services s’engagent davantage en faveur de la numérisation?Nous avons deux possibilités: la carotte ou le bâton. La carotte signifie mettre en place des incitations pour que les prestataires de services aient intérêt à numériser leur cabinet ou leur institution. Par exemple, ils pourraient facturer certains tarifs lorsqu’ils exécutent un processus par voie numérique. La carotte peut également consister à soutenir les prestataires de services dans la numérisation, par exemple par le biais de prêts ou d’aides financières. Et le bâton serait de contraindre les prestataires de services ou de subventionner moins ceux qui ne participent pas suffisamment à la numérisation. Recourir uniquement au bâton suscite le mécontentement et n’est pas viable sur le long terme. C’est pourquoi, en Suisse, nous avons aussi besoin d’incitations pour que les prestataires de services décident par eux-mêmes de participer. Et les incitations, malheureusement, cela signifie en général donner de l’argent.« La population dispose déjà des compétences nécessaires et de la volonté d’utiliser des services numériques. »
Donc, mettre des incitations en place et recourir de temps à autre au bâton, nous le faisons pas suffisamment en Suisse. Pourquoi?La raison principale est probablement que nous sommes tout simplement trop bien lotis en Suisse. Pour que les choses bougent, nous avons besoin de pression. Le changement est toujours douloureux: il faut s’adapter, affronter la nouveauté, l’inconnu, alors que nous préférons les bonnes vieilles recettes traditionnelles. Pour changer tout un système chez nous, il faut une bonne raison. Et actuellement, il n’y a tout simplement pas assez de pression pour un changement dans le système de santé suisse. Notre système est performant et entretenu avec beaucoup d’argent. Ce qui nous ramène à la question de la volonté… Pour le moment, la situation est bloquée – comme un mécanisme d’horlogerie dans lequel les roues ne tournent plus et sont coincées. Les cantons, la Confédération, les communes, les patients, tout le monde observe les autres et attend qu’ils fassent quelque chose. Personne ne met la pression, personne n’intervient. Donc, rien ne bouge.Et que faudrait-il pour que les choses changent?C’est la grande question qui se pose dans notre société: comment parvient-on à faire évoluer un système de santé? Pour sortir de la situation actuelle, nous avons besoin de mouvement, d’un lubrifiant, quelque chose qui débloque le mécanisme. Mais malheureusement, il n’existe aucune solution simple au problème. Selon moi, la population constitue un levier essentiel. Si je pouvais injecter des millions dans le système, je lancerais une campagne de marketing et expliquerais à la population pourquoi un système de santé numérisé serait bien plus performant. Alors, la pression viendrait d’en-bas.Il y a bel et bien des médecins qui souhaitent contribuer activement à la numérisation. Quelle est la meilleure façon pour eux de le faire?Un levier très efficace chez les prestataires de services ambulatoires est l’échange entre professionnels: expliquer comment un outil électronique a accru l’efficacité de leurs processus et observer comment des confrères travaillent avec des solutions numériques. Si des collègues spécialistes parlent des avantages qu’ils retirent de la numérisation, l’impact sera important. Le secteur de la santé a besoin de davantage d’esprits avant-gardistes qui montrent la voie «Venez voir, c’est beaucoup plus que le simple envoi de lettres et de fax». Et les collaborateurs d’institutions telles que les hôpitaux ou les maisons de retraite doivent impérativement communiquer leurs idées innovantes et suggestions d’optimisation des processus.« Pour que les choses bougent, nous avons besoin de pression. Et aucune n’est actuellement exercée dans le système de santé suisse. »
Nous avons beaucoup parlé de la manière de faire avancer la numérisation. Mais quels seraient les avantages d’un système de santé numérisé? Quelle serait la valeur ajoutée pour les professionnels de la santé? Un médecin-assistant passe en général environ 20 % de son temps en contact avec les patients; pour le personnel soignant, c’est sans doute 30 %. Cela signifie que les prestataires de services consacrent une grande partie de leur journée à l’administration, la prise de rendez-vous, des tâches donc bureaucratiques. La numérisation changerait la donne: elle pourrait soulager du poids de la bureaucratie – et les prestataires de services auraient alors plus de temps pour leurs activités principales, le travail avec leurs patients. Et quels sont les avantages de la numérisation pour les patients? D’une part, la numérisation permettrait probablement de freiner l’augmentation des dépenses de santé. D’autre part, cela rendrait le système de santé plus agréable, plus simple et plus pratique pour les patients: ne serait-ce pas un soulagement, par exemple, si un patient n’avait plus besoin d’expliquer 20 fois ses antécédents médicaux? Et la numérisation peut bien sûr permettre aussi d’optimiser la qualité des traitements. Aucun médecin au monde n’est en mesure de mémoriser les interactions possibles entre tous les médicaments existants. En fait, il est vraiment absurde que nous ne disposions pas encore d’un système central de cybermédication. Cette lacune à elle seule devrait être une raison suffisante pour faire avancer la numérisation du système de santé.« Un levier très efficace chez les prestataires de services ambulatoires est l’échange entre professionnels. »
Auteur: Philipp Senn - Responsable Communication
Les langues et les technologies de l’information m’ont toujours fasciné – chez HIN, je peux combiner les deux. Je suis responsable Communication chez HIN et intervenant «à temps partiel» pour la HIN Academy, et je souhaite transmettre à nos lecteurs les multiples facettes de la transformation numérique et les sensibiliser aux questions de sécurité informatique qui en découlent.